Annoncernle diagnostic tâche normale du médecin ?



Le fait, pour un médecin, d’annoncer un diagnostic à son patient est d’une
grande banalité. Ceci peut faire oublier que si la démarche du médecin a une
dimension technique, l’état d’esprit du patient est plutôt celui de quelqu’un qui,

veulent savoir sauront, ceux qui ne le souhaitent pas douteront. De toute façon,
les droits des uns et les devoirs des autres ne peuvent aboutir à une information
rigide et stéréotypée du patient : là comme ailleurs en médecine, il y a beaucoup
plus de cas particuliers que de règles générales.
Quand il s’agit de médecine préventive, ou, plus récemment, de médecine

prédictive (cf. infra), l’annonce d’un diagnostic, ou d’une situation à risque, ou
d’une évolution péjorative ultérieure, peut prendre à l’occasion une allure de
tragédie antique, d’une sorte d’oracle.

Les patients ne s’y trompent pas qui
attribuent au médecin le rôle de celui qui peut dire la vie et la mort. Il ne faudrait
pas que l’obligation d’informer déshumanise ces moments quelquefois difficiles
de l’exercice médical. Dans le cas où une relation au long cours, particulièrement
en médecine générale, se tisse entre un patient et son médecin, chacun sait
parfois un peu mieux ce qu’il peut attendre de l’autre, et chacun juge un peu
mieux ce que l’autre peut supporter.
Annoncer un diagnostic sous-entend que l’on sait précisément ce qu’est un
diagnostic. Or, il est habituel que la notion de diagnostic dépasse largement le
simple étiquetage nosologique, et ce pour plusieurs raisons.
– Un diagnostic « complet », c’est-à-dire vérifié par la biologie et/ou la
radiologie et authentifié par l’anatomopathologie reste une éventualité
relativement rare, en particulier dans l’exercice de la médecine générale. Braun [3]
estimait que pendant ses 36 années d’exercice, ses « résultats de consultations »
ne comportaient que 10% de diagnostics « complets ». Tout le reste rassemblait
des symptômes, plus ou moins isolés ou nombreux, parfois regroupés en
« tableaux de maladies ».
– Mettre un nom, le plus précis possible, sur une maladie est évidemment
utile, ne serait-ce que pour se référer aux classifications existantes. Mais tout le
monde sent bien qu’il n’est ni logique ni efficace de s’en tenir à un diagnostic qui
serait « centré sur la maladie ». Par exemple, Monsieur A. et Madame B. peuvent
être, tous deux, atteints de diabète avec des paramètres cliniques et biologiques
identiques. Ils ont donc, tous les deux, la même étiquette dans la classification des
maladies. Mais il y a toutes chances pour que tout le reste soit différent. Tout le
reste, c’est-à-dire le passé de chacun, son éducation, son profil psychologique, son
niveau d’intelligence, son activité (ou inactivité) professionnelle, sa façon de voir
la vie, ses croyances, ses peurs, sa relation avec la médecine et les médecins, ses
problèmes familiaux, son entourage, etc. Or, à des degrés divers, tous ces
éléments interviennent dans la détermination de ce problème de santé actuel
que l’on appelle « diagnostic ». Comment ne pas en tenir compte dans la mesure
où la maladie de Madame B. et celle de Monsieur A.

risquent d’évoluer de façon
très différente s’ils sont eux-mêmes très différents ? Il n’est pas exagéré de dire
qu’il ne s’agit en fait pas de la même maladie. Il est donc indispensable d’inverser
la démarche : il ne s’agit plus d’un diabète chez Monsieur A. ou Madame B., mais
de Monsieur A., ou Madame B. atteints d’un diabète. De « centré sur la maladie »,

le diagnostic, comme l’a illustré Balint [1] est maintenant centré sur le patient. Cette
simple modification d’optique change tout, y compris dans l’annonce d’un
diagnostic de maladie, annonce nécessairement personnalisée.
– Les paramètres de personnalité propres à chaque patient s’ajoutent donc au
diagnostic « biomédical » classique pour le compléter. Cet « état des lieux »
diagnostique provoque, même s’il s’en défend, des réactions variées chez le
médecin. En principe, ce dernier ne devrait pas réagir de façon différente lors de
l’apparition d’un diabète chez quelqu’un qu’il aime bien (ou trop) et chez
quelqu’un qu’il n’aime pas beaucoup (ou pas du tout). En réalité, pourquoi le

médecin serait-il la seule personne capable de maîtriser complètement son
affectivité ? Heureusement, la pratique médicale permet de ne pas trop montrer
ses sentiments, mais les inconscients du patient et du médecin communiquent en
général assez bien… D’une certaine façon, chaque soignant devrait tenir compte
de ses réactions personnelles au cours de chaque démarche diagnostique et au
moment de faire part de ce diagnostic.
L’évolution des mentalités, traduite récemment par le Code de déontologie,
amène le médecin à se sentir obligé d’informer son patient de façon plus précise
qu’auparavant. Ceci ne fait jamais que traduire ce qui devrait se passer dans toute
relation d’adulte à adulte, tout en laissant au médecin, s’il le juge nécessaire, la
possibilité de ne pas dire, ou de ne pas tout dire.


théorique et pratique a été dans ce sens. On lui a répété, comme une sorte de
refrain, qu’il n’avait « pas le droit de passer à côté de tel ou tel diagnostic ». La
formation médicale continue des médecins a poursuivi dans ce sens. Bien
évidemment, il y a du pertinent dans cette attitude : il va de soi qu’il faut s’efforcer
de mettre une étiquette précise chaque fois que des décisions réfléchies et/ou
rapides peuvent améliorer une situation, voire sauver une vie. Personne ne
conteste cette façon de faire, bien qu’un diagnostic rigoureux ne soit applicable
qu’à une partie des actes médicaux. Par ailleurs, la fameuse consigne : « ne pas
passer à côté d’un diagnostic », si elle a une logique propre, contribue à faire naître
une certaine culpabilité larvée chez les médecins. Ce sentiment de culpabilité
risque d’entraîner des procédures de réassurance sans fin, à base d’examens
répétés mais pas nécessairement justifiés.
Dans un autre ordre d’idées, trois questions au moins n’ont pas de réponse
simple.
– Vouloir à tout prix aboutir à un diagnostic ne risque-t-il pas de proposer des
diagnostics peu argumentés scientifiquement, approximatifs, discrètement
fantaisistes, voire tout à fait fantaisistes ?
– L’élaboration d’un diagnostic est-elle identique en médecine spécialisée et
en médecine générale ?
– Le fait d’annoncer un diagnostic, dans certains cas, ne va-t-il pas favoriser
l’ancrage d’un patient autour d’un mot ou d’un concept qui ont peu de chance de
résumer vraiment ses problèmes ? Et cet « ancrage » ne peut-il figer une situation
plutôt que la laisser évoluer, éventuellement, de façon personnelle et
constructive ?

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